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Joint Statement: Au Niger, le cri d’alarme de six ONG avant le sommet de la Cedeao à Abuja
We call on the Economic Community of West African States to urgently adopt formal exemptions for humanitarian action in the sanctions regime against Niger in order to ensure that aid can be delivered in an orderly and timely manner to civilians in need of humanitarian assistance. The statement is IN FRENCH.
Depuis le 26 juillet 2023 et l’annonce par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) du renversement du Président en exercice Mohamed Bazoum et de son gouvernement, le pays fait l’objet de plusieurs sanctions individuelles et collectives, notamment prise par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) : fermetures des frontières terrestres, suspensions des transactions financières et commerciales, etc.
Trois mois après l’imposition de ces sanctions, alors qu’on estime à au moins 4,3 millions le nombre de Nigériens ayant besoin d’une aide humanitaire d’urgence, et à 2,3 millions les personnes en crise alimentaire, force est de constater que ces sanctions ont impacté et continuent d’impacter fortement l’accès des populations nigériennes vulnérables aux services sociaux de base et aux moyens d’existence. De nombreuses activités humanitaires essentielles aux populations, déjà fragilisées par la pauvreté, ont été interrompues ou retardées. Ces interruptions et ces retardements vont s’aggraver si les modifications nécessaires ne sont pas apportées aux sanctions collectives imposées au Niger.
Dans ce contexte, nous, ONG ayant des opérations humanitaires significatives au Niger, appelons la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à adopter d'urgence des exemptions formelles pour l'action humanitaire dans le régime de sanctions contre le Niger, et les Etats membres à les respecter, afin de garantir que l'aide puisse être acheminée de manière ordonnée et opportune aux civils nigériens en besoin d’assistance humanitaire.
Aggravation de la vulnérabilité des populations
Aujourd’hui, plusieurs indicateurs sur les besoins humanitaires sont au rouge et font craindre une dégradation très rapide des conditions de vie des Nigériens et notamment des populations les plus vulnérables. Les sanctions ont notamment causé le blocage ou le retard dans l’arrivée de l’assistance alimentaire et nutritionnelle, mais également des stocks de médicaments.
De juin à septembre 2023, pendant la période de soudure, 3,3 millions de personnes avaient besoin d’une assistance alimentaire. Un demi-million de personnes n’a reçu aucune assistance, alors que 2,5 millions n’ont eu droit qu’à une assistance réduite. 185.000 enfants au Niger souffrant de malnutrition aigüe modérée n’ont désormais plus accès aux rations, en raison de leur indisponibilité au Niger et 40.000 d’entre eux souffrent désormais d’une forme sévère de malnutrition. Si les frontières ne s’ouvrent pas immédiatement, ces enfants ne pourront plus être soignés d’ici quelques semaines car les stocks de contingences s’amenuisent dangereusement.
Le mois dernier, alors que près de deux tiers des centres de récupération nutritionnelle ambulatoire étaient en rupture de stocks pour le traitement des enfants malnutris aigus, près de 10 000 tonnes de vivres destinés à l’assistance alimentaire et nutritionnelle étaient bloqués hors Niger, aux frontières avec le pays. Le 21 novembre, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a annoncé l’arrivée de son premier convoi humanitaire via le corridor du Burkina Faso, acheminant 284 tonnes, pour secourir près de 50 000 personnes. Cependant, cette aide ne représente qu’une goutte dans l’océan par rapport à l’ampleur des besoins. Par ailleurs, ce type de convoi partant du Togo et passant par le Burkina Faso pour finalement atteindre le Niger, coûte extrêmement cher (plus de US$ 1.8 millions). De plus, ces convois s’effectuent sous escorte armée, ce qui pourrait à terme, poser atteinte à la perception de la neutralité des organisations humanitaires, vues comme associées aux militaires.
La fermeture des frontières a également occasionné un blocage dans l’acquisition des approvisionnements en médicaments, vaccins et intrants essentiels, aggravant les risques de morbidité notamment pour les femmes enceintes et allaitantes et les enfants de moins de 5 ans.
Enfin, face au contexte sécuritaire, humanitaire et sociopolitique incertain couplé aux difficultés économiques, les populations sont très souvent contraintes d’effectuer des mouvements soit pour échapper aux menaces sécuritaires soit à la recherche de moyens de subsistance. Plus d’un déplacement interne des populations sur quatre (29%) est effectué du fait des difficultés d’accès aux moyens de subsistances et/ou à l’assistance humanitaire. Du fait de la concurrence accrue pour des ressources déjà limitées, concurrence liée aux sanctions, les tensions entre les réfugiés, les personnes déplacées internes et les communautés d'accueil, voire au sein des communautés, risquent d’augmenter.
Impact spécifique des sanctions financières
Depuis le coup d'Etat et conformément aux sanctions de l'UEMOA, la branche nationale nigérienne de la BCEAO a suspendu ses activités. Le système bancaire national n'est plus alimenté en devises et les transferts de paiement entre banques nigériennes ne sont plus facilités. Aujourd’hui, les réserves de devises des banques nigériennes sont presque entièrement épuisées.
Certaines banques limitent les retraits à 100'000 francs CFA (ou US$160) par jour, d'autres ont complètement cessé les retraits. Entre-temps, les transferts de paiement entre banques nationales sont rendus difficiles.
Les opérations de plusieurs organisations humanitaires sont fortement affectées par cette situation. De nombreux programmes qui ont besoin de liquidités sont bloqués et certaines organisations ne sont pas en mesure de payer leurs fournisseurs, en raison de l'impossibilité dans certains cas, des transferts de paiement de banque à banque à l’intérieur du pays, ou des difficultés de retrait.
Clarification juridique nécessaire
Nous, ONG, sommes reconnaissantes à la Commission de la CEDEAO pour ses lettres datées du 25 août 2023, informant le Bénin, le Togo et le Nigéria que les sanctions ne doivent pas affecter l'acheminement de l'aide humanitaire.
Cependant, le passage des véhicules transportant des fournitures humanitaires reste impossible à cause des sanctions et de la fermeture de la frontière nigérienne. Les acteurs humanitaires, mais également les banques, les fournisseurs, les assureurs et les autres acteurs du secteur privé, lesquels jouent un rôle essentiel dans la fourniture de l’aide humanitaire d’urgence, ont besoin de certitude et de prévisibilité juridique quant à l'application des sanctions aux transactions nécessaires à la fourniture d’aide humanitaire ou à l’appui d’autres activités visant à répondre aux besoins essentiels.
La clarté juridique requise serait une modification du libellé des sanctions autorisant expressément les activités et actions humanitaires nécessaires à l'acheminement de l'aide au Niger. Cette modification serait conforme à l'article 4(4) de l'Acte additionnel sur les sanctions contre les États membres qui n'honorent pas leurs obligations envers la CEDEAO du 17 février 2012, lequel prévoit que les sanctions n'affectent pas l'acheminement de l'aide humanitaire aux populations de l'État membre concerné.
Plus précisément, nous demandons à la CEDEAO d'adopter des exemptions humanitaires juridiquement contraignantes, qui excluent du champ d'application des sanctions contre le Niger la fourniture d'approvisionnements, de services et de ressources économiques essentiels pour mener à bien des activités humanitaires, ainsi que pour répondre aux besoins humains fondamentaux.
Face à l’urgence de la situation et aux vulnérabilités des populations qui s’aggravent, nous sommes convaincus que les chefs d’État de la CEDEAO seront sensibles à notre appel en adoptant les amendements essentiels à la reconnaissance des exemptions humanitaires, démontrant ainsi leur engagement inébranlable pour le bien-être du peuple nigérien et le respect de leurs obligations en vertu du droit international humanitaire.